Il est des descentes dont on rêve depuis longtemps !
Pour avoir tant grimpé et équipé dans ce secteur oriental sauvage des Aiguilles Rouges, pile-poil au-dessus du col des Montets, j’avais pu à loisir observer les abrupts versants de notre massive Aiguille de Mesure, y observant (très rarement) d’éphémères traces laissées par de probables Alien freeriders…
Vu d’en bas, le couloir NE apparaît comme un coup d’épée rectiligne dans une belle face mixte d’ampleur, rectiligne tout comme l’est la ligne générale à tracer pour revenir au point de départ: un seul trait de crayon du sommet à la voiture, sans compromis ni traversée, sur 1400m s’il vous plait de pentes toujours soutenues !
Seuls les quelques rétrécissements observés m’invitaient à attendre une année plutôt bien enneigée…Tiens, comme cet hiver 2015-2016 d’une générosité et d’une qualité finalement presque magiques.
La géographie très encaissée du couloir et son exposition NE garantissent généralement des conditions de neige froide bien accrocheuse, donc parfaitement skiable en cette fin de saison : banco, le téléphone arabe fonctionne si bien que nous nous retrouvons vite à 5 cinq potes pour cette sortie typée plutôt « alpine », avec un élément féminin (Marianne) pour adoucir ce monde de brutes et un ratio intéressant de professionnels (3 guides) pour (r)assurer et gérer d’éventuelles manœuvres de main courantes ou rappels (voir rubrique « technique indispensable »).
C’est que, là-haut, nous aurons probablement tous le sentiment d’être « vraiment » en haute montagne…
Approche aux couloirs
Deux départs sont possibles :
A/ Celui, sportif, partant un peu en contrebas du col des Montets.
On remonte d’abord le bas de l’énorme cône d’avalanche issu des pentes sous la Tête de Praz-Torrent (1803m), avant de bifurquer à gauche pour remonter un couloir raide débouchant aux abords de cette Tête, dernier point portant encore quelques mélèzes ou épicéas.
Suivre ensuite une croupe neigeuse en direction W avant que les traces du très classique col de l’Encrena ne bifurquent à gauche dans la combe du même nom. Pour notre compte, on continue tout droit dans des pentes soutenues, se léchant déjà les babines de la fabuleuse descente annoncée, pour gagner un replat dans le cirque enserré entre les Aiguilles de Praz Torrent et de Mesure (à l’alt 2150m environ).
B/ Celui, fainéant, partant du domaine skiable de la Flégère-Index.
C’est dit ; fainéant, je le suis parfois… alors cette grande traversée au départ du petit téléski de la Floria, à la fois pratique et amusante, est souvent mon choix car visitant tout le versant S des Aiguilles Rouges.
Elle permet, avec une demi-heure de montée seulement et déjà quelques beaux virages, de rejoindre directement les pentes avant le replat sous l’Aiguille de Praz Torrent (2e repeautage à 2050m environ sous l’échine E de l’Aig de Mesure // voir la description jusqu’au point D sur http://freerando.com/aiguilles-rouges-la-mythique-descente-du-versant-beugeant-rusee/).
Le couloir NE
La pyramide massive de l’Aiguille de Mesure se distingue, en versant NE, par une petite virgule rocheuse se découpant sur le ciel, à sa gauche: le Doigt de Mesure, bien connu des grimpeurs pour ses magnifiques voies rocheuses (en flanc S) : notre couloir NE, évident, s’y dirige tout droit.
On repère bien le Doigt grâce à une étonnante cavité à sa base laissant passer un ciel que l’on espère le plus bleu possible, un véritable « trou de souris » que l’on pourra aller visiter de façon optionnelle à la montée du couloir pour basculer plus tôt en versant ensoleillé.
Remonter le couloir est une évidence, à skis tout d’abord (couteaux utiles) puis en crampons avec les skis sur le sac, pour sortir donc soit au « trou de souris », soit dans les pentes raides à droite menant directement à l’arête, avec un bon 50° sur les derniers 50m.
Le verrou rocheux étroit aux 2/3 de hauteur ne pose à priori aucun problème, marquant seulement le passage aux pentes de 45° et plus.
Enfin, sortir sur l’arête E bien ensoleillée est un réel plaisir, dans une ambiance résolument alpine, avec ses tourelles rocheuses en contrebas coiffées de champignons de neige façon Patagoniennes.
La calotte du sommet, quant à elle, est plane, agréable, et tranche avec les abîmes dont nous sortons : c’est l’un des plus beaux points de vue des Aiguilles Rouges, avec vue imprenable sur le « Mont Blanc des Dames » voisin (le Buet), les Alpes Valaisannes et Bernoises, les Grandes Jorasses ou le bassin d’Argentière.
Descente
L’arête sommitale peut se skier selon l’enneigement (et même la face E directe, ou la face N sur le vallon de Bérard), mais sinon on reviendra à pied au dépôt des skis à la sortie du couloir sur l’arête et là…
Là… et bien c’est selon son envie, ses capacités, les conditions du moment !
Le haut du couloir est raide, on l’a déjà dit, mais pas terriblement impressionnant car la pente n’est pas « ouverte » sur le vide : il s’agit d’un couloir-goulet classique et plutôt bien skiable.
Pour ma part, j’ai choisi aujourd’hui mes « Z » fétiches, au rayon court (15m en taille 176cm), explosifs et rassurants, et je ne regretterai pas ce choix pour cette sortie à inscrire dans les annales !
Une main courante posée sur un becquet de l’arête peut dans tous les cas rassurer, même et surtout si on a déjà chaussé, et plus bas on peut encore en poser une si besoin est, par exemple sur un corps mort ou cet ancrage des skis en « X » illustré par notre guide Christian.
Après, ce n’est que du bonheur, que dis-je de la volupté, de l’extase, avec ce run d’enfer jusqu’à la route du col des Montets, sur l’un des plus beaux reliefs skiables que je connaisse, toujours soutenu, large : des moments rares !
Il est des descentes dont on rêvera pendant longtemps encore…